Quand on arrive en ville

Ariel s'arrête au sommet de la bute. Le soleil transperce enfin le feuillage, réchauffant son visage couvert de terre et de poussière. Mais plus que le soleil, ce sont les blocs imposants de béton au loin qui le font s'arrêter un instant et rappeler ses Pokémons autour de lui. Un à un, ils émergent de la jungle et s'attroupent à ses pieds. Pleins de curiosité, ils attendent une explication à ce qui se trouve devant eux.

"Ça, mes petits. C'est la civilisation."

Ariel a passé deux mois dans les alentours d'Azul Avore. La jungle est trop intéressante, trop pleine de mystère et de ruines pour qu'il puisse s'en arracher. Ses expéditions sont devenues de plus en plus longues, de plus en plus éloignées de la ville suspendue. Son équipe s'est agrandie, et il n'a jamais davantage ressemblé à un sauvageon. Ses cheveux sont emmêlés, ses vêtements déchirés, son pantalon couvert de boue. Il passe maintes fois sa main contre les quelques poils de barbe qui couvrent ses joues, soudainement complexé à l'idée que des humains puissent les voir. Première chose à faire une fois en ville : prendre une douche, et se passer un coup de rasoir.

Ariel et son équipe progressent dans la plaine. Plusieurs de ses Pokémons sont perturbés par ce soudain changement de décors. Sycorax en particulier, en l'absence d'arbre à lequel s'accrocher, fait d'Ariel son arbre.

La ville est loin. Mais la ville s'approche. Et la ville grandit. Bientôt les hauts bâtiments les baignent dans leur ombre, plus imposants encore que les arbres de la jungle. Ariel est un peu nerveux. Toute l'équipe est nerveuse.

Aucun d'eux n'a jamais mis les pieds dans une aussi grande ville.

Leurs sens sont pris d'assaut. Les gens, les bruits, les panneaux lumineux, la foule, la foule, la foule. Ariel se presse, rappelle ses Pokémons de peur de les perdre, cherche désespérément un Centre Pokémon, une chambre, un endroit où se doucher et se regrouper.

Cette première heure est rude. Mais une fois la boue raclée de sa peau, il quitte le Centre Pokémon et se perd dans la clameur de la ville.

La ville, d'ordinaire bruyante et colorée, l'est encore plus aujourd'hui. C'est jour de fête, ou du moins on s'y prépare. Les rues sont couvertes de décorations, les magasins remplis de friandises. Ariel déambule, fasciné. Viviane et Sycorax, toujours aussi curieux que leur dresseur, se faufilent partout pour tout voir et tout toucher.

Tout est intéressant. Mais l'estomac d'Ariel lui indique qu'il y a une sorte de choses plus intéressante que les autres. Ça fait un bon moment qu'il n'a pas mangé autre chose que les sandwichs les moins chers possibles. Cette profusion de confiseries colorées attire le regard et les grognements d'estomac. Il se retrouve, un sac en papier dans une main et une petite pelle dans l'autre, face à un immense étalage de couleurs et de sucre, tant de petits objets qu'il n'a encore jamais ou rarement vu. Des guimauves de toutes les couleurs. De délicates fleurs en sucre. Des petits personnages gélifiés. Des sucettes de la taille d'un poing. Et tant d'autres choses qui dépassent son champ de vision et la taille de son sachet.

Ariel remplit le sac en papier un peu au hasard, ne connaissant aucune de ces nombreuses sucreries. Viviane et Pijako, chacun sur une de ses épaules, crient et lui picorent les bras pour le pousser à prendre encore plus de ceci ou de cela. Difficile de leur expliquer que cela coûte de l'argent, et qu'il n'a pas des fonds illimités.

C'est néanmoins avec un sac bien plein qu'il se présente à la caisse. S'ils arrivent à manger tout ça, ils pourront toujours revenir. Le caissier pèse son sac, annonce le prix (ouch, plus cher que ce qu'il pensait, mais il a la somme) et ajoute :

"Il faudra aussi payer pour lui."

Lui ?

Ariel suit l'index du caissier pour trouver son Capumain, Sycorax, utiliser ses multiples mains pour attraper le plus de bonbons possible et les enfourner. Il a même plusieurs sachets de bonbons vides à ses pieds.

"Ah. Mh. Mais pour peser... ?"

Estimer la quantité de friandises que Sycorax a dévoré n'est pas chose facile, mais ils arrivent à un compromis. Voilà qui fait un trou dans le budget d'Ariel un peu plus grand que prévu.

"Et soit satisfait que je ne te bannisse pas dans ta Pokéball." Ariel conclue après un bref sermon. Sycorax ne semble pas vraiment rongé par la culpabilité, mais c'est tout ce dont Ariel est capable. Il n'a pas encore vraiment eu besoin de faire la discipline dans son équipe.

Cependant, la nature se charge très bien de la punition. Alors qu'ils continuent à explorer la ville et les festivités, Sycorax devient rapidement bien moins enclin à sautiller partout pour tout explorer. Au contraire, il s'accroche au bras d'Ariel et semble de moins en moins en forme. Ariel est sur le point de lui demander ce qui ne va pas, quand le pauvre Capumain rend tout le contenu de son estomac sur les pavés.

Bon, au moins, ce n'est pas sur ses chaussures.

"Considère ça comme ta punition." Ariel lui dit, au lieu de s'apitoyer, lorsque Sycorax tapote sa Pokéball. "C'est trop facile de fuir les conséquences de tes actions. Et puis, tu préfères vomir à l'intérieur de ta Pokéball ?"

Apparemment convaincu par ce dernier argument, Sycorax ne fait pas davantage de demande concernant sa Pokéball. Il se contente de s'accrocher mollement à son dresseur en ayant l'air particulièrement pitoyable.

À vrai dire, ça ne plait pas vraiment à Ariel de jouer les bourreaux. Au bout d'un moment, c'est avec un soupir désolé qu'il consent à prendre Sycorax dans ses bras.

"Allez, retournons au Centre. Tu as besoin d'une bonne nuit de sommeil. Et nous aussi. Quelle journée ! Mais sois gentil, préviens moi si tu as à nouveau besoin de vomir. Je risque d'être moins sympa avec toi, sinon..."

Ils retournent donc au Centre Pokémon, sous presque pas de protestations de la part de ses deux oiseaux qui ont encore bien envie de se promener. En entrant, Ariel se dirige directement vers le comptoir de soins.

"Une indigestion, ça se soigne ?" Demande-t-il à l'infirmière de service.

Celle-ci lui répond avec un ricanement.

"C'est un Centre Pokémon, pas l'hôpital ici. On ne soigne que les Pokémons."
"Justement..."

Il brandit Sycorax, qui a un haut-le-cœur pile sur le comptoir. L'infirmière fait un bon en arrière.

"Ah, d'accord ! Un petit passage par le régénérateur lui fera du bien, mais il va sans doute rester un peu malade quelques jours encore. Donnez-moi sa Pokéball."

Sycorax peut enfin se réfugier dans sa Pokéball, qui fait un bref aller-retour dans la machine de soins.

"Mieux vaut qu'il reste dans le monde physique au moins pour cette nuit." Précise l'infirmière quand elle rend à Ariel la Pokéball. "Ça aidera à faire passer tout ça plus vite."
"Autre chose que je puisse faire ?"
"Préparer une bassine."

Ariel se sent presque aussi déconfit que son Pokémon, ce soir-là, à lui masser le dos pendant qu'il se penche au-dessus d'une petite bassine en plastique. Le reste de ses Pokémons, peu appréciatifs de l'odeur, réclament leur Pokéball. Ariel passe donc la nuit auprès de son Pokémon malade, en se jurant de faire plus attention aux faits et gestes de son équipe à l'avenir. Ils ne sont plus dans la jungle. Il y a un million de bêtises qu'ils peuvent faire, un million de pétrins dans lesquels se fourrer. Ils ont quitté des dangers pour en trouver d'autres.

C'est un changement d'ambiance. Mais ça fait du bien de se mettre à nouveau en mouvement.