Mon histoire? Elle est banale. Je vais te la raconter quand même.
Je suis née il y a 22 ans, sous le dôme en verre qui surplombe Atlantia. J'ai peu de souvenirs avant mes 6 ans, un mélange d'amour maternel, de fleur d'oranger et de cannelle. Nous ne vivions pas dans le luxe du centre-ville mais pas non plus dans les bas-fonds. Maman et moi étions juste nous et nous étions bien.
A 6 ans cependant, ma vie fît un virage à 180 degrés. Ma mère avait dû s'absenter quelques instants. J'avais l'habitude de rester seule : en tant qu'infirmière, elle devait parfois voir des patients à la dernière minute. Pourtant, cette fois, son absence se prolongea. Une nuit passa, puis deux. Je me souviens que j'étais terrifiée, je pleurais énormément. Heureusement, j'étais capable de me sustenter d'eau et de biscuits.
Le matin du troisième jour, une dame se présenta à notre domicile. Elle ressemblait comme deux gouttes d'eau à ma mère mais je sentis directement qu'il ne s'agissait pas d'elle. Elle était... froide. Supérieure. Et elle ne sentait ni la fleur d'oranger, ni la cannelle. Elle se présenta comme étant "Auntie Carol".. tante Carol. Il s'agissait donc de la jumelle de celle qui m'avait mise au monde.
"Elle revient quand, Maman?
- Oh, Honey..."
Je n'aurais jamais de réponse à ma question. A chaque fois que j'abordai le sujet, elle me gratifia de cet insupportable "Oh, Honey..." en me caressant la joue. Elle se contenta donc de me ramener chez elle et de "m'élever", sans la moindre explication.
Trois choses à savoir sur Auntie Carol :
- Elle a assez d'argent pour vivre dans les quartiers huppés et avoir tout le confort qu'elle désire.
- Elle aime la compagnie des hommes, de préférence riches.
- Elle déteste les pokémons.
J'ai grandi dans une prison dorée. Carol faisait défiler les professeurs privés pour me donner une bonne éducation. Mes journées étaient interminables entre les cours de chant, de bienséance et de vieil anglais, cette langue morte qu'elle ne cessait de citer pour se donner un genre. Le soir, elle invitait souvent d'autres mondains. Régulièrement, c'était un homme seul qui se présentait à la porte d'entrée. Ces soirs-là, le bonhomme partait particulièrement tard et la réception se poursuivait dans la chambre de ma tante. Elle était toujours d'excellente humeur le lendemain et ne manquait pas de partir en "shopping" et de revenir les bras chargés de paquets. Cela lui prenait plusieurs heures. Parfait pour une petite évasion.
J'aime me promener dans les rues d'Atlantia. Cela doit me rappeler ma petite enfance bien que, comme je l'ai dit, je n'en ai que peu de souvenirs.
La première fois que je suis passée par la fenêtre de chez Carol, vers mes 15 ans, je me suis sentie tellement libre! C'était un sentiment merveilleux. Trop rapidement écourté. J'ai donc réitéré l'expérience quasiment à chaque fois que ma tante décidait de dépenser des fortunes en vêtements dont elle n'avait pas besoin.
J'ai erré sans but pendant 2 ou 3 ans. J'observais la ville, son évolution, les gens... Et surtout les pokémons, ces créatures qui n'avaient pas l'autorisation de franchir la porte de la maison... Puis, j'ai fait la rencontre de Tobias. J'étais assise sur un muret, au bord d'une grande place, lorsque je l'ai vu pour la première fois. Il accostait les riches du coin en leur parlant d'une cause quelconque... Sauver une espèce de pokémon menacée? Je ne me rappelle plus. C'était bidon de toutes façons puisque son seul but était de leur montrer ses documents et en profiter pour leur piquer leur portefeuille. Il était très doué et sa technique me fascinait.
A partir de ce moment, à chaque sortie, mon but était devenu de trouver "mon" voleur et de l'observer dans son milieu naturel. Je n'y arrivais pas bien au début mais au bout d'un moment, j'ai pu trouver ses emplacements préférés. Je l'ai observé des mois durant. Un jour, cependant, il y a... 3 ans? A peu près? Impossible pour moi de le retrouver. Je m'abattis donc, déconfite, sur le muret où je l'avais aperçu pour la première fois.
"Tu n'abandonnes pas rapidement, dis-moi!"
J'ai sursauté tellement fort que je n'ai pas pu refréner un petit cri. Sans que je ne l'aie vu arriver, il s'était assis à côté de moi, un énorme sourire sur son visage. Une fois la surprise passée, nous avons passé quelques secondes silencieuses à nous détailler. Nous avions à peu près le même âge. Cependant, physiquement, nous étions aux antipodes. J'étais frêle, la peau ultra blanche, de long cheveux roses et soyeux, vêtue de blanc. Il était métis, avec des dreadlocks jusqu'aux épaules, plutôt musclé, habillé de brun et d'orange.
Le fait est qu'il avait découvert mon manège dès le début. Il m'avait laissée le suivre puisque je "n'affectais pas ses activités". Nous avons développé une amitié un peu spéciale. Nous ne savions quasiment rien l'un de l'autre, seulement nos prénoms. Nous nous voyions quand je pouvais sortir. En général, je le retrouvais et il faisait une pause dans sa collecte de portefeuilles pour venir manger une glace, discuter de tout et de rien, marcher un instant côte à côte. Il était le petit rayon de soleil qui manquait à mon existence. Rien de romantique, non. Juste de l'amitié sans prise de tête.
Il y a un an, cependant, plus rien. Impossible de retrouver Tobias. Et ce n'était pas une blague cette fois. Il avait dû être arrêté, finalement. Ma vie retourna au train-train quotidien noir-doré que ma tante m'avait préparé. Depuis mes 18 ans, j'étais même forcée d'assister aux repas avec ses invités... et leurs fils. Il ne me fallut pas bien longtemps pour comprendre que ma tante me cherchait un bon parti. Evidemment, c'était davantage dans son intérêt que dans le mien. Carol cherchait l'attention, un mariage en grandes pompes en aurait apporté, c'est certain. Elle me scrutait, cherchant à ce que je laisse passer le moindre soupçon de curiosité pour l'un des jeunes coqs qui venaient picorer à notre table. Au départ, j'étais en colère, bien sûr, puis ce manège finît par me laisser indifférente.
Jusqu'à ce que je retrouve Tobias. A ma table. Oui, oui. J'étais abasourdie. Lui aussi, évidemment. Carol m'avait annoncé la venue de quelqu'un de haut placé chez Sunrise, sa femme et leur fils cadet. Pas aussi bien que l'aîné, m'avait-elle dit, mais le père était destiné à monter en grade et ce pouvait être un pari fructueux. Ma surprise ne passa pas inaperçue, Auntie Carol pensa à un coup de foudre. Après un repas gênant, elle nous força habilement à nous retrouver seuls dans le petit salon pour faire connaissance pendant qu'elle et ses invités discutaient entre adultes.
Tobias a alors pu alors tout m'expliquer. Fils de riches en manque d'attention, il avait développé une habileté manifeste pour subtiliser des objets. Cela lui avait valu quelques ennuis mais il s'était finalement rapproché de ses parents. Bien souvent, il renvoyait les portefeuilles par courrier avec un petit mot d'humour pour les propriétaires.
Je fondis en larmes. J'avais soudainement l'impression que mon rayon de soleil s'était éteint. Lorsque je pensais qu'il avait été arrêté, j'avais gardé l'espoir de le revoir un jour mais cette fois, son image s'était brisée. Je n'avais pas d'ami qui volait des portefeuilles dans la rue. Ma prison dorée me poursuivait donc même lorsque je pensais y échapper. Je ne sais pas combien de temps cela a duré mais Tobias me prit simplement dans ses bras et me réconforta alors que les larmes coulaient sur mes joues, perlaient à mon menton et venaient détremper son épaule. Une fois calmée, je lui fis part de mes pensées les plus profondes, tout ce que j'avais gardé pour moi ces dernières années. Mes interrogations, toujours sans réponses, sur la disparition de ma mère, l'identité de mon géniteur, ma place dans le monde,... Il m'écouta avec attention et avant de partir, il me promit de revenir me voir et de m'aider.
C'était il y a deux mois. Aujourd'hui, je me tiens devant ma porte d'entrée. Tobias est effectivement revenu, avec une surprise : Mon tout premier pokémon. Venu en direct du bureau de son père. Il a parlé de mon cas à ses parents et a négocié sa relation avec eux et l'arrêt de son hobby de pickpocket pour me le fournir. Je ne pourrai jamais assez le remercier. Je pars. Je ne regrette rien, je pars. Je prends mon sac et je pars. Dans l'entrée, je laisse un mot pour ma tante Carol. :
"Oh Honey."