#6.1 La Caldeira

La Caldeira n’était pas le bouge mal fréquenté que les riverains - ceux qui n’y avaient jamais mis les pieds - se plaisaient à décrire. C’est sur, la peinture des murs aurait mérité un petit rafraîchissement ; quant au sol et au mobilier, ils dataient probablement du propriétaire précédent, ou plutôt du propriétaire précédant le précédent. La table de billard qui trônait au milieu de la pièce datait très certainement d’avant le cataclysme. Mais les habitués étaient des gens plutôt sympas, si tant est qu’on apprécie la compagnie des putes, des mafieux et des laissés-pour-compte. Manaus était dans son élément. La mexicaine n’était pas devenue Ranger pour faire régner l’ordre, quel qu’il soit - ce n’est pas pour rien qu’elle avait rendez-vous avec une contrebandière.

Et puis le nom du bar, “la Caldeira”, lui évoquait beaucoup de choses. Les matinées d’hiver à se blottir contre la chaudière, quand le froid prenait les fenêtres. Les cratères laissés au fond des volcans creusés d’avoir chauffé trop fort, et trop vite. La chaleur d’un ventre brûlant au contact d'une joue contre une paume. La polysémie était délicieuse - elle espérait que la bière le serait aussi.

Personne ne la remarqua quand elle poussa la porte, et à peine eut-elle le droit à un regard en coin quand elle s’assit sur un des hauts-tabourets du bar. Emily n’était pas encore arrivée. Elle avait le temps de se commander une bière et de regarder la partie de billard en cours. Une partie pour le moins distrayante, le billard délabré penchant fortement sur un côté : les billes s’accumulaient contre une des bandes. Un passe-temps de contrebande, finalement, s’amusa Manaus. Elle avait de l’esprit aujourd’hui - elle espérait qu’il lui en resterait quand la dissidente blonde pointerait le bout de son nez.