Mourning Light

Mourning Light

 Bien entendu, je pourrais souligner à Cassandre que je n'approuve pas son plan une fois de plus. Mais toute chose considérée, ma désapprobation de la plupart de ses plans aux probabilités de réussites souvent aussi douteuses que leurs moralité semble si généralisée que j'en arrive à me demander si elle n'est pas maintenant devenue l'un de ses critères de sélection. De plus je dois bien avouer que notre situation est passablement... alarmante. Aussi, je tiens ma langue et me contente de lui adresser un regard en biais, légèrement désapprobateur.

Je ne devrais pas vraiment être surprise après tout, ce voyage inopiné semble juste être l'apothéose de la catastrophique semaine que nous venons de traverser. Après nos quelques mésaventures dans les mines de Medgate aux conséquences fâcheuses que ma comparse à jugé bon de rejeter sur un groupe de petites frappes locales, eh bien... disons simplement que celles-ci n'ont que peu apprécié leurs rôles d'infortunés boucs émissaires. Après être parvenus à semer les autorités à leur poursuite, ils ont décidé de nous renvoyer l’ascenseur – ce qui, je le souligne en passant indique bien que mes réserves quant aux fameux « plans » de Cassandre ne sont pas tout à fait injustifiées. Ainsi, merci à leurs velléités de vengeance, ma chère amie jugea bon de se jeter sur la première opportunité qu'elle trouva pour les semer. Cette première opportunité se révélant être une rame de l'Outlander en partance pour Ykito.

Si, petit miracle en soit, nous avons réussi à ne pas nous faire repérer dans celui-ci jusqu'à notre arrivée en Asie, autant dire que notre situation ne s'annonce pas brillante pour autant. Nous voilà maintenant recherchées, fauchées et arrivées illégalement sur un autre continent. Ce qui risque de rendre le déroulement de notre prochain défi prévu à l'arène de Swanford quelque peu délicat.

Mais n'ayez crainte ! Cassandre a un plan ! Encore.
Je me contente donc de soupirer. Encore.

Elles ne doivent maintenant plus être très loin. Cassandre vérifie rapidement l'heure affichée sur son S.I.S en se contentant d'ignorer un nouveau soupir d'October. Le 14ème depuis le début de leur petite expédition. Bien entendu, elle pourrait délibérer avec celle-ci du bien fondé de cette entreprise ; ça ne l'ennuierait pas, bien au contraire ! Cassandre adore débattre avec son amie, la voir argumenter. La contredire. Lui tenir tête. Qu'elle parvienne à la forcer à remettre en doute ses décisions, ses convictions. Seule October sait l'y pousser avec autant de bienveillance. Car il faut bien l'avouer, Cassandre est plus qu'habituée à devoir se battre pour défendre ses idées. Parfois même les imposer.

Mais la confiance que lui accorde sa comparse est indiscutable ; parfois même un peu démesurée, et il lui arrive de se demander jusqu'où celle-ci serait prête à aller pour la suivre. Aussi, dans leurs interminables démêlées il ne s'agit jamais d'essayer de brider ou d'essayer de nuire. Simplement de réfléchir. D'évoluer. Aussi bien pour l'I.A. que pour elle-même.

Cependant, comme son rapide coup d’œil vient de lui confirmer, elles sont en retard. Oh, pas de beaucoup, juste assez pour que Cassandre puisse considérer ça comme « à l'heure » par ses propres critères. Pas sûr en revanche que leur contact, affublée du patronyme d'« Utopie », soit du même avis. Pas le temps donc, malheureusement, de s'arrêter débattre avec October. Mais d'un autre coté, elle allait avoir le plaisir de faire la connaissance d'une personne ayant pris la décision de se présenter sous le nom de code d'Utopie. Ce qui promettait une rencontre pour le moins intéressante. Les ascensionnistes avaient toujours eu un goût particulier pour le spectaculaire, songe Cassandre avec un demi-sourire en accélérant légèrement le pas. Plus qu'à lui mettre la main dessus.

Enfin arrivée en haut de l'escalier, cherchant un quelconque signe de présence humaine, ses yeux s'arrêtent sur une silhouette recroquevillée dans un coin. S'immobilisant instantanément, Cassandre échange un rapide regard avec l'hologramme d'October qui lui répond d'un haussement d'épaule l'air visiblement tout aussi déconcertée qu'elle. Après une seconde, elle recommence à avancer lentement dans sa direction, un sourire effilé se dessinant sur ses lèvres. Apparemment, en plus de leurs affections pour le grandiose, les ascensionnistes ne manquaient pas non plus d'une certaine dose d'audace, de nos jours. S'autoriser une petite sieste en plein cœur des ruines d'Ykito, voilà qui méritait un certain respect.

Se raclant légèrement la gorge pour tirer l'inconnue de sa torpeur, Cassandre bascule ensuite doucement en avant pour lui adresser une courte révérence.

« Je sais que j'suis en retard mais quand même, de là à s'endormir en m'attendant... c'est un peu exagéré, non ? » lance-t-elle tout en adressant un sourire à la jeune femme, October qui flotte à ses cotés la saluant d'un simple petit signe de main, « Utopie, c'est bien ça ? Désolée de l'interruption. »

 

 
Un instant de silence, de flottement, avant que l'avalanche de mèches noires ne tressaute finalement. Puis se mette, lentement, en mouvement. Deux iris léthargiques, encore voilées par le sommeil, nous cherche l'espace d'une seconde et se posent sur nous. Nouveau flottement. Je n'ai jamais expérimenté le sommeil. Jamais vraiment, ou pas comme cette inconnue, en tout cas. Suspendue dans un enchevêtrement de rêve et de réalité, les traits fins et sa peau pâle baignée dans la halo de lumière presque onirique de mon hologramme. Elle ne tarde toutefois pas à reprendre pied ; tel est le lot, j'imagine, de ceux qui de nos jours prennent la route.

« Je… Je crains de ne pas être votre “Utopie”. »

Cassandre s'esclaffe à mes cotés. Dans la demi-pénombre offerte par la ruine qui nous abrite la lueur que j’émets rend le sourire qui s'étire légèrement sur ses lèvres pratiquement phosphorescent. Elle incline un peu la tête et hausse une épaule désabusée.

« Ah, n'est-ce pas là le problème avec toutes les utopies, au final ? » plaisante-t-elle dans un souffle alors que je reste muette. “Pas-notre-utopie”, de son coté, semble achever de s'arracher à sa douce torpeur. Elle commence à nous exposer en quelques mots, sans détails, les raisons de sa présence dans ce bâtiment décrépi ; rafraîchissante d'ouverture ou peut-être bien d'honnêteté, après nos longues semaines à fuir. À mentir. Une mauvaise idée mais les autres étaient pires, hein ?

« Ne vous en faites pas, je suis pratiquement sûre qu'il s'agit là du postulat à la base de toutes nos décisions. » ne puis-je m'empêcher de railler à mon tour, dans un soupir, avant de me reprendre. Je ferais mieux de garder les remarques de ce genre pour moi, je n'étais pas certaine de la décision de Cassandre de me garder avec elle en premier lieu. Après tout se balader avec un hologramme doué de sentience n'était pas peut-être pas le plus judicieux quand on voulait rester incognito. Pas exactement ce qu'il y a de plus courant. Mais elle avait balayé mes préoccupations d'un revers de main ; les S.I.S. sont pleins d'I.A. modifiées et personne ne leur prête la moindre attention, avait-elle prétexté, les humains ont une vigoureuse tendance au nombrilisme, surtout dans le domaine de la conscience. Je n'étais pas certaine d'en être aussi convaincue, mais j'avais tout de même consenti à l'accompagner, n'ayant ni vraiment envie d'être laissée à moi-même, ni d'être désactivée le temps qu'elle accomplisse notre mission.
Mieux valait tout de même ne pas trop attirer l'attention.

Ma camarade, elle, ne semble nullement inquiétée par mon intervention. Elle ne l'est pas plus non plus de n'avoir visiblement toujours pas trouvé le contact que nous étions supposées rejoindre. Pas-notre-utopie, elle, achève de nous partager imprécisément le pourquoi de sa présence. Ses explications sibyllines – elle n'est probablement pas certaine du niveau d'information qu'elle devrait échanger avec nous ou non – restent étrangement familières. Coincée entre Charybde et Scylla, forcée de fuir. Combien de fois avons-nous entendu des histoires similaires, depuis notre départ ? N'est-ce pas la notre, au final... ?

« De toute façon, de ma propre expérience, la plupart des grandes histoires commencent dans les endroits où l'on a pas le droit de se trouver. » sourit simplement Cassandre, le regard nébuleux. Puis, elle s'arrache enfin à la contemplation des traits délicats, bien que partiellement dissimulés, de notre interlocutrice pour balayer la pièce où nous trouvons d'un regard circulaire.

« Ce qui compte c'est de ne pas se faire attraper. À ce propos, vous n'auriez pas croisé qui que ce soit d'autre dans le coin ? » demande ma camarade d'un air songeur en s'approchant de l'encadrure d'une fenêtre brisée pour jeter un coup d’œil à l'extérieur, « J'ai bien peur que de ne pouvoir faire attendre mon Utopie bien longtemps. Vous m'direz, il s'agit sûrement là d'une autre de leurs caractéristiques communes. »
 

 
« Je ne le recommanderais pas. » répond la voix distante de Cassandre, sa silhouette toujours partiellement engloutie par la gueule de la lucarne. Elle ferme les yeux, juste l'espace d'un instant, et laisse le souffle d'une brise légère adoucir ses soucis. « Ça a tendance à mettre pas mal de gens en colère et est plus généralement considéré comme une mauvaise idée ; ce qui est le cas assez souvent lorsque j'essaye d'arranger les choses, quand j'y pense. » ajoute-t-elle en se redressant finalement, son éternel semi-sourire reprenant sa place sur ses lèvres.

« Je ne pense pas qu'il faille en tirer de conclusion globale. » pondère sobrement le fantôme d'October flottant toujours a ses cotés, son visage s'illuminant lui aussi de l'ombre d'un sourire, « Je suis prête à parier qu'il s'agit là d'une de tes spécificités. »

Le sarcasme de l'I.A. dont le regard est resté suspendu à leur interlocutrice depuis qu'elles ont pénétré dans la pièce ne semble même pas érafler l'humeur de Cassandre qui se contente de hausser une épaule pour toute réponse et d'écouter un instant cette autre utopie. Et alors que les mots s'éteignent sur ses lèvres, ses deux iris ébènes – et voilées ; peut-être d'une certaine mélancolie ? – semblent comme les perforer, aller se perdre quelque part dans l'abîme de ruines derrière elles.

« Chasser les Utopies pour finir par tomber sur une Dystopie ? » relève-t-elle songeusement, le visage basculé en arrière, le regard perdu dans les craquelures de ciel qui lézardent le plafond, « Ça me semble approprié. »
« Je ne peux pas vraiment apporter de garantie quant au niveau de dangerosité qu'entraîne notre compagnie... en revanche ces dernières semaines m'ont démontrées que nous sommes extrêmement douées pour nous inviter chez des inconnus, alors qui sait, dénicher une salle de bain ne relèverait peut-être pas tout à fait de l'impossible. » intervient l'hologramme à son tour, ses cheveux dégringolant en une cascade ivoire dans un impressionnant simulacre de gravité lorsqu'elle incline sensiblement la tête sur le coté pour adresser un court sourire bienveillant à Dystopie.
« C'est vrai que j'ai toujours aimé faire des rêves une réalité ; et celui-ci me semble affreusement réalisable. » concède son amie dans un éclat de rire, enjoignant leur inopinée compagne de route à les suivre d'une nouvelle courte révérence. Sans attendre, elle pivote et reprend sa fouille de l'océan de vestiges au travers duquel elle navigue depuis quelques heures déjà. Son regard s'accroche, s’égratigne sur le contour des bâtiments en ruines et des fantômes qui s'y nichent encore. Une main égarée dans le labyrinthe de mèches, de plumes et de nœuds qui constituent sa crinière, Cassandre liste : « Pas sûre que mon Utopie apprécie mais j'aurais plus de chance de la trouver comme ça. Prévenez-moi si vous la voyez ; elle devrait exaltée, pas très rationnelle... et attendra certainement de nous l'impossible, voir un peu plus. Comme il se do... »
« Je croyais que tu devais venir seule. » tranche sèchement une voix, coupant court à l'élan de la jeune femme en même temps qu'à son inventaire. La propriétaire de la voix, adossée contre une vieille carcasse de voiture juste à la sortie du building, ne semble effectivement pas manquer d'ardeur si on en croit les deux billes brûlantes, encadrées de courtes mèches brunes cendrées, qu'elle laisse lentement glisser sur le trio. Sa peau sombre est légèrement parcheminée, probablement par la vie et la méfiance, comme celle qu'elle affiche avec évidence à cet instant, plus que par les années. Elle hausse un sourcil sceptique, expectatif, dans l'attente d'une quelconque justification.

« J'ai croisé une Dystopie sur la route, ça n'arrive pas tous les jours. Je me suis dis qu'avec un tel contraste, il fallait que vous vous rencontriez. » déclare Cassandre en avançant d'un pas, rien ne semblant entamer l'éclat de son humeur. La moue corrosive que lui adresse Utopie en retour semble parvenir toutefois à lui faire comprendre qu'elle ne se satisfera pas d'une telle réponse.

« Devant l'ampleur de l'entreprise, j'ai jugé plus sage de venir avec des renforts. » soupire la jeune femme, visiblement bien moins emballée par cette plus raisonnable explication. Se tournant vers Dystopie, elle ne prend qu'une courte seconde pour s'excuser au travers d'un sourire a demi contrit avant de la désigner d'un geste fluide la main, « Dystopie m'assistera dans la préparation de l'opération. Et je ne me sépare jamais de Casper. » ajoute-t-elle avec un mouvement en direction de la silhouette fantomatique d'October, qui incline nerveusement la tête en réaction. Utopie reste muette quelques secondes, méfiante elle continue de la calciner de son regard. Avant de lentement, très lentement se redresser et déplier les bras en signe d'approbation. Elle fixe Cassandre encore une petite seconde.
« Et toi ? Tu m'as pas donné de nom, comment je devrais t'appeler ? »
« Moi ? » sourit l’intéressée, en écho, « Moi... on a qu'à dire que c'est Irina. Irina Sandstone. »
 

 
Le regard d'Utopie cesse d'essayer de forer un trou dans le front de Cassandre le temps d'aller piquer la silhouette de Dystopie. Le pseudonyme que s'est choisi mon amie n'a rien fait pour adoucir l'humeur amère de notre employeuse et la moue qu'elle affiche n'en dissimule rien. Sa nouvelle victime ne semble même pas ciller quand elle la détaille d'un œil ouvertement hostile et j'en suis légèrement admirative, je dois bien l'admettre. Toutefois l'attention de l'ascensionniste ne s'attarde pas et elle voilà qu'elle darde de nouveau Cassandre de ses deux prunelles perçantes avec une grimace dubitative.

« Si tu préfères la renvoyer d'où elle vient, elle ne sait encore rien de nos plans. » expose sobrement celle-ci, devinant qu'elle s'interroge certainement sur la raison de la présence d'une mercenaire qui ne connaît pas les raisons de sa venue. Utopie plisse les yeux, nous jauge encore quelques instants, son regard ne prenant pas la peine de venir s'échouer de mon coté ne serait-ce qu'une seconde. On dirait bien que sur certains points au moins, Cassandre n'a pas tout à fait tord. Puis elle lâche un profond soupir et nous invite à la suivre d'un geste.

« Je ne sais pas pourquoi je te fais confiance. »
« Parce que je suis une vieille amie d'Ascintha ? » propose ma camarade avec un scintillement facétieux, s'attirant un nouveau coup d’œil sévère, « Parce je fais partie de la liste extrêmement réduite des quelques indépendants avec qui vous acceptez de travailler ? »

Notre identifiant se trouve en effet bel et bien sur cette liste. Parce que je l'y ai placé. Mais ça Utopie n'a pas besoin de le savoir. Plutôt que de courir après une mission aux finalités morales certainement douteuses, il nous a paru plus judicieux de laisser nos... références à quelques endroits clés et attendre de voir ce qu'on nous proposerait. Après tout, j'étais très probablement l'une des uniques personnes au monde à pouvoir m'infiltrer sur ces réseaux privés avec autant de facilité.

« Notre cible est le centre Pokémon C372 située dans l'extrême périphérie est d'Ykito. » commence à expliquer Utopie en nous guidant au travers des ruines, « De récentes informations ont confirmés nos suspicions de maltraitances. Nous les soupçonnons même de servir de couverture à un trafic de Pokémons aux conditions révoltantes. »

Après avoir étudié les différentes propositions, cette opportunité nous avait semblé la meilleure. J'avais certes pris la peine de souligner à Cassandre qu'attaquer de front un centre n'était peut-être pas la façon la plus raisonnable de résoudre la situation, mais comme elle me l'avait elle-même fait remarquer nous n'avions pas tellement la possibilité de retourner dans un siège de Sunrise pour signaler ces infractions. En dehors du problème le plus évident de notre arrestation immédiate, le temps que l'information remonte et que l'administration décide d'agir... si on prenait ses allégations au sérieux pour commencer ! Et puis, bon, hein, « on a besoin de l'argent. »
Nous voilà donc, ascensionnistes d'un temps.

« L'objectif est simple, libérer tous les Pokémons injustement retenus prisonniers et neutraliser le centre. » Utopie crache presque le dernier mot, ne cachant rien de sa véhémence, « Je ne doute pas que Sunrise ne tardera pas à le remettre en fonction mais au moins ça devrait attirer suffisamment l'attention pour que ces salopards en subissent les conséquences. Et on devrait pouvoir faire retrouver leur liberté à une petite centaine de Pokémons. » achève-t-elle avec un peu plus de douceur, une nuance de tendresse passant même sur son visage l'espace d'un court instant. Elle s'arrête enfin, au détour d'une bâtisse effondrée et en enfonce la porte voisine du coup d'épaule pour dévoiler le camp de fortune qui s'y dissimule.

« Nous disposons de peu de moyens aussi l'opération se doit être rapide. Précise. Efficace. On limite la casse et les victimes. Nous avons deux objectifs : libérer la totalité des Pokémons prisonniers et de griller le système informatique principal. Le centre est en inventaire pour la journée ce qui veut dire pas de visiteurs et un personnel réduit ; s'il s'y trouve des individus qui ne devraient pas s'y trouver c'est qu'ils n'ont aucune bonne raison d'être là, aucune raison d'hésiter donc à faire... le nécessaire. Départ dans... » elle marque une courte pause le temps de vérifier l'heure sur la petite montre mécanique, véritable antiquité qui égrène les secondes au rythme de ses cliquètements, suspendue à son poignet par un bracelet un peu trop large, « 1 heure 37 minutes, grâce à votre retard. Vous pouvez débuter vos préparations. Des questions ? »

 

 
Lorsque la voix de Dystopie s'élève enfin de nouveau, c'est avec aridité. Une répulsion morgue que Cassandre n'y a encore jamais entendue. Ses yeux effleurent la silhouette de sa complice inconnue au rythme de ses condamnations glaçantes, et Cassandre songe. Elle se demande si un jour elle sera punie ; châtiée d'avoir couru après toutes ces Utopies.
Sa conscience devrait peut-être être celle menant à bien l'exaction de ce châtiment, mais un silence obstiné semble être la seule opinion qu'elle souhaite émettre sur le sujet. Ce qui, paradoxalement, l'inquiète un peu.

« M’étonne pas. » renchérit Utopie avec un même fiel, « Ça aurait pu tout bien être un de leurs labos. C'est de leur faute, après tout, s'ils se retrouvent avec ces pauvres bêtes entre les mains. »

Au moins, pense-t-elle en voyant la flamme de son Utopie ravivée, il semblerait que les deux femmes se soient trouvé un terrain d'entente. Voilà qui devrait faciliter la suite. Il y avait certainement une enseignement ou une réflexion à retirer du fait qu'elle se retrouvait bien souvent à cette croisée des chemins. Elle note de prendre soin de s'assurer de n'en tirer aucune.

« Je sais pas comment vous comptez vous partager la prime, ça, c'est entre vous. » ajoute son ardente employeuse en passant sur Cassandre un regard passablement étonné, avant de retourner son attention vers sa toute nouvelle complice, « C'est simple, on embarque tout ceux qu'on peut dans leurs Pokéballs. Je me chargerai de m'assurer qu'ils retrouvent leur liberté dans les meilleures conditions. Les autres, pas le choix, on les laisse filer. Mais crois-moi, les Pokémons savent se débrouiller, ils auront bien plus leurs chances comme ça qu'entre les griffes de ces dresseurs. »

Et voilà soudainement une Dystopie devenue l'âme sœur d'une Utopie ; un spectacle qui pourrait presque paraître étonnant, s'il n'était pas aussi familier. Elle s'éloigne un instant, parcoure des yeux l'ensemble du camp avant de s'arrêter sur October. Elle ne leur a pas menti en les prévenant qu'elles manqueraient d'équipement. Il semble bien que rien n'ai été mis à leur disposition. Elle pivote et se racle la gorge, ébranlant son amoncellement de mèches et de tresses.

« Casper devrait pouvoir se charger de la partie électronique sans le moindre soucis. Il nous restera à nous occuper du reste. » notifie-t-elle simplement, s'arrêtant une seconde avant d'ajouter à l'adresse de Dystopie, « Sûre de vouloir te joindre à nous... ? Il semblerait que j'ai retrouvé mon chemin, nul besoin de t'y égarer plus loin avec nous. »

Elle était déjà la cause de suffisamment d'utopies fourvoyées ; autant ne pas en rajouter une de plus à la liste.
 

 
C'est avec la nervosité fébrile qui présage des mauvais coups et des plus déraisonnables odyssées qu'Utopie se détourne de nous pour disparaître derrière la bâche recouvrant tristement l'entrée d'une pièce adjacente. Nous abandonnant donc à notre sort, à part peut-être pour les quelques bruits inidentifiables s'échappant occasionnellement de ce coin vaguement dissimulé de son piteux repaire. Dystopie, elle, insiste pour nous accompagner et je retiens tout juste gémissement de dépit, refermant mes dents sur ma lèvre inférieure. Mes prunelles froides se posent sur l'entremêlement de courbes et de plumes ébènes que forme sa silhouette.

« J'ai la chance d'être principalement pourchassée pour ce que j'ai commis.  » concède Cassandre, visiblement imperméable à ma détresse. La laisser m'entraîner dans sa chute est une chose ; un destin que j'ai décidé d'embrasser depuis longtemps. Emporter d'autres âmes avec nous, en revanche, ne faisait pas parti du plan. « Enfin, je crois. Certains jours j'en arriverais presque à oublier que l’entièreté de la création n'est pas de ma responsabilité. »
« Tu veux plutôt dire que certains rares soirs de pleine lune, quand les astres s'alignent, il t'arrive de te le rappeler ? »

Mon sarcasme n'est pas des plus discrets, mais il s'échappe de mes lèvres avant même que je n'ai le temps de songer à l’étouffer. Pas grave. La parfaite absence de remarques à mon sujet me met peut-être un peu trop en confiance, j'en ai bien conscience, mais qu'importe. Après tout, lui ramener les pieds sur terre est l'un des rares services que m'a demandé de lui rendre l'Icare qui me sert d'amie. Le cas échéant, vu le baratin avec lequel elle s'en tire usuellement malgré son comportement abracadabrant, je suis certaine qu'elle arrivera à leur faire gober que je suis qu'une classique IA particulièrement impolie, ou quelque chose du genre.

« L'opération risque de se révéler risquée,  » je tente une dernière fois à l'adresse de la jeune femme, sans grand conviction. Je commence à savoir reconnaître la flamme qui habite Cassandre et les autres illuminées de son genre ; si elle avait dû faire demi-tour elle l'aurait déjà fait, « et si nous rencontrons de l'opposition... disons simplement que la subtilité n'est pas toujours notre forté. »
« Bien ! » s'exclame mon amie en virevoltant pour aller se saisir du large plan du centre Pokémon trônant au cœur du bazar de ce pavillon de fortune, faisant au passage prendre son envol à un essaim chaotique de mèches et de perles, et de le déplier pour l'étudier. « Départ dans... 1 heure 31 minutes, donc ! »

 

 
Cassandre ne parvient que de justesse à se retenir de pouffer de rire face à la grimace de douleur qui passe sur le visage d'October lorsque Utopie s'hasarde à l'appeler par le surnom qu'elle lui a déniché. Aucun regret toutefois de son coté, nul esprit ne serait se montrer à la hauteur du titre de gentil fantôme que sa translucide amie.

« Je... plus ou moins, oui. » répond finalement October, avec une pointe d'embarras.
« Casper est Casper. Un peu comme je suis moi, vous êtes vous et Utopie semble décidément être une éternelle rabat-joie. Vous voyez ? » intervient Cassandre avec sa limpidité habituelle, s'attirant un regard déconcerté – et légèrement soucieux – de l'hologramme, « Et d'ailleurs, entre nous, j'ai un aveu à faire. Elle ne s'appelle pas réellement Casper. Comme, j'en ai bien peur, je soupçonne notre Utopie de ne pas en être pas vraiment une. »

Luttant toujours avec son plan bien trop grand pour être ainsi manipulé, qu'elle ne daigne d'ailleurs même pas lâcher du regard, la jeune femme fronce les sourcils. Elle arrache un stylo à son sac d'une main et entoure maladroitement l'un des coins du diagramme, manquant au passage d'en déchirer un morceau. Mais lorsque Dystopie fait mention de son étrange rencontre, les expressions des deux amies s'illuminent à l'unisson.

« Oh, oui, je vois, ça pourrait être un Porygon... »
« ... le Pokémon virtuel, si l'en croit les données qu'on peut trouver à son sujet... »
« ... il aurait été créé par l'homme, artificiellement, il y a de ça quelques siècles... »
« ... probablement dans le but d'aller explorer l'espace, ou un truc comme ça ? »
« L'espace, vous imaginez ça ? Il est supposé être composé uniquement de code informatique... »
« … et donc être capable de se décompiler pour infiltrer un programme. » termine Cassandre avec un large sourire, October de son coté soudainement rattrapée par l'embarras de leur étrange petite démonstration.
« J-j'aurais bien proposé que nous essayions de réparer votre SIS, mais s'il a littéralement explosé j'ai bien peur que ce soit au delà de nos capacités. » reprend l'IA, butant plus sur sa gêne que sur ses mots, pour tenter de faire oublier leur intervention précédente.
« C'est vrai que si j'ai beau maîtriser l'art de faire exploser les SIS, je ne suis encore jamais parvenue à inverser le processus. » acquiesce l'humaine de son coté avant de coincer le stylo entre ses dents le temps de faire pivoter le plan dans un fracas de bruissements de papier, laissant à October le plaisir de faire face seule à son embarras et l'égarement soudain de leur interlocutrice.
« Tout à fait. » appuie cette dernière précipitamment, dans un nouveau bégaiement, ne sachant comment réagir avant de se rendre soudainement compte qu'elle ne sait pas elle-même où sa phrase l’entraîne, « Elle est... étonnamment douée, pour faire exploser des choses. »
 
 

 
Cassandre ponctue le récit de Dystopie de « mh-mh » attentifs tout en continuant de parcourir le plan du regard. Je la sais, en dépit des apparences, intéressée par le contenu du témoignage de la jeune femme ; griffant certainement avec précision chaque détail, comme autant de syllabes, de l'étrange événement qu'elle nous rapporte dans sa mémoire. Mais je sais aussi que, bien trop absorbée par le tumulte nuageux de ses pensées, Cassandre n'a certainement rien remarqué des brumes qui ont voilé un instant le visage, lointain, de Dystopie. Lointain, oui, comme un horizon ombragé.

Distraitement, je remonte l'une de mes mains le long de mon bras dans un crépitement de pixels alors que Cassandre nous foudroie d'un nouveau de ses sourires. Mais curieusement ça ne fait rien pour apaiser la nouvelle, soudaine appréhension qui m'envahie.

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C'est dans une ruelle étriquée, coincée entre deux pans de ce qui pourrait tout aussi bien être des ruines, que nous nous arrêtons finalement. Histoire de récapituler une dernière fois notre « plan » ; cette dénomination me semblant pour une fois bien généreuse. Cassandre, noyée dans l’étouffante pénombre d'une allée que seuls ma lueur fantomatique et l'éclat de son enthousiasme semblent pour le moment décidés à percer, s'occupe en fouillant une poubelle alors qu'elle nous récite les « innombrables » étapes de l'opération. À savoir, trois. En effet, une fois n'étant pas coutume, devant le manque flagrant d'équipements et celui, tout aussi critique, d'estime qu'elle porte pour nos potentiels opposants, ma subtile acolyte a décidé que le plus simple serait... d'aller au plus simple.

Frapper en deux temps ; le premier groupe se présentera à l'entrée de service, à l'arrière, et y forcera le passage, ne se souciant guère d'attirer l'attention. L'objectif est simple, griller le système et permettre l'accès du second groupe à l'entrée principale du centre verrouillé pendant l'inventaire. Puis, il s'agira de détourner l'attention des indésirables qui l'occupent le temps que les autres évacuent la totalité, ou en tout cas un maximum possible, des Pokémons. Je ne pense pas avoir besoin de préciser de quelle partie du plan nous sommes en charge. Je pousse un soupir alors que Cassandre continue de vider une benne voisine de la ferraille qu'elle contient par poignées, tout en nous rappelant que notre réussite repose principalement sur notre rapidité d’exécution. Aucune fenêtre pour l'hésitation.

Utopie avait bien semblé réticente, dans un premier temps, à l'élan suicidaire de cette attaque frontale. Avant qu'il ne soit bien évidemment clarifié qu'elle ne ferait pas partie du groupe prenant le gros des risques, la tactique lui semblant alors soudainement bien plus raisonnable. Cassandre – maintenant presque totalement engloutie par la gueule béante de la benne dont elle commence à racler le fond – s'assurant par conséquent de mener à bien, en même temps qu'elle nous mène à notre perte, la première partie du plan, je n'ai pas vraiment d'hésitation à avoir quant à l'équipe à laquelle je vais me joindre.

Ce qui est loin d'être le cas de Dystopie sur laquelle Cassandre pose son regard en se redressant finalement, son butin enfin entre les mains : une longue barre de métal dont la teinte souillée de rouille fait ressortir l'éclat de ses yeux. Son sourire s'effile, scintillant comme le tranchant d'un rasoir dans l'obscurité de la ruelle, alors qu'elle soupèse délicatement le trésor qu'elle vient de dénicher entre ses mains.

« Du coup, Dystopie ? Tu souhaites te joindre à notre glorieuse leader, ou tu préfères venir avec nous te mesurer à une utopie égarée ; briser quelques rêves de richesse fourvoyés ; et probablement une ou deux rotules, aussi, au passage ? »
 

 
Une demi-lune de dents nacrées et une lueur qui ne m'est que trop familière illuminent le regard de Dystopie lorsque celle-ci annonce vouloir les accompagner. Une victime de plus, happée dans les eaux tumultueuses de Cassandre. Je n'ai plus qu'à espérer qu'elle y survive, en particulier à la perspective des prochaines minutes qui allaient probablement métamorphoser les reflux habituels de sa marée en véritable tsunami. Mais alors que Cassandre virevolte en direction du centre, elle n'a le temps de faire qu'un pas avant qu'une – nouvelle – voix au timbre synthétique ne s'élève dans notre dos. Nous renvoyons toutes deux la tête en arrière pour observer l’échange des plus étranges entre Dystopie et son SIS avant d'échanger nous-même un long, très long regard. Mon amie doit d'ailleurs y lire le glaçant malaise qui me traverse soudain vu qu'elle se contente de remarquer :

« Oh, il s'est plutôt bien remis apparemment. Tant mieux. »

Il n'est pas difficile toutefois de remarquer l'éclat de curiosité qui scintille dans le regard torve qu'elle adresse au petit appareil ; pas vraiment quant à sa méthode pour se remettre d'une quelconque explosion, non. Le genre « d'explosions » qu'elle fait généralement subir à ses affaires – ou ses adversaires – n'est pas du genre de celles dont ont peut se remettre. Pas sans une solide maîtrise de l'altération de la ligne temporelle, en tout cas. Non, c'est précisément la raison de ma stupeur qui a su capter son intérêt : l'étrange discours de l'IA d'assistance qui semble maintenant animer la victime de cette attaque de Porygon.

Mais elle ne tarde pas à tout balayer, mon effroi comme ses réflexions, d'un nouveau sourire ardent. Elle amorce son approche, sans même se retourner. Un pas en arrière, deux pas... Ses iris corrodées écorchent celles de Dystopie. Trois, quatre... Ses incisives, inhumainement acérées, effleurent le cramoisi de ses lèvres. Cinq, six. Elle égraine ses enjambées comme un compte à rebours et je commence à ressentir, même moi, de façon totalement incompréhensible, l'effet de son effervescence. Sept... Huit... Elle affleure le mur. Et, juste avant de basculer en dehors de la ruelle, directement devant l'entrée de service du centre, Cassandre penche légèrement la tête sur le coté. Une étincelle de folie s'échappe de son sourire électrique pour se noyer dans ses iris et, presque avec douceur, Cassandre nous murmure.

« Bangarang ! »

Puis, Cassandre s'élance.

À peine à-t-elle le temps de rentrer en scène que son public – l'unique silhouette qui semble être en poste devant l'entrée secondaire du poste, se raidi visiblement. Bien heureusement il fallait bien plus qu'un auditoire difficile pour l'effrayer ; particulièrement quand elle brûlait autant de l'emmener dans sa danse. La silhouette l'observe tituber entre les bennes et les détritus tel un vagabond, hagarde et enivrée. Sur la route, au détour d'un regard, il n'était pas inhabituel qu'on la prenne pour une miséreuse ou un mendiant. Cassandre en était ravie ; il n'y avait guère de catégories à laquelle les gens avaient moins envie de porter attention. Bien entendu son ou sa partenaire étant un peu plus fébrile qu'à l'habitude, ce n'est pas ça qui allait l'empêcher de détailler le moindre mouvement de sa chorégraphie, pratiquement captivé.e.

La voix synthétique d'October, qui sait déjà quoi faire, égraine déjà les informations alors qu'elle valse entre les poubelles. Rebekka Mayer. 22 ans. Originaire de Nebelgheist. Visiblement dans la région sous une fausse identité. Correspondance assurée à 82%. Elle dodeline et titube, ses bras se balancent avec la mal-habilité et la souplesse gracieuse de l'enivrement, sans jamais dévoiler la barre de métal dissimulée dans son dos. Non enregistrée comme employée de Sunrise malgré l'uniforme qu'elle porte actuellement. Actuellement recherchée par les services de sécurité de Griesheim et d'Holika. Une main crispée sur quelque chose occulté par la partie gauche de sa veste, l'inconnue s'avance d'un pas et redresse son autre bras dans la direction de Cassandre, pour lui intimer de s'immobiliser. Déjà condamnée à 27 reprises, pour divers chefs d'accusations tel que : Vol, vol à main armée... Mais Cassandre continue de papillonner lentement jusqu'à elle, ne lui adressant qu'un rapide, un fiévreux, regard. La cerbère s'avance d'un nouveau pas et lui lance un « Hey ! »... dégradation de bien communs, agression, incendie volontaire, utilisation de Pokémons avec intention de nuire, contrebande de biens et de Pokémons, violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner... Cassandre titube une dernière fois et, lentement, s'immobilise enfin. Correspondance assurée à 82%.

« Dégage. Tu peux pas rester là, zone interdite au public. » aboie la vigile, d'un geste brusque de son bras libre. Correspondance à 82%.
« Rebekka Mayer, c'est ça ? » répond la dresseuse en relevant soudainement les yeux sur le visage de la jeune sentinelle, et la stupeur qu'elle y lit achève de lui donner toute la certitude dont elle avait besoin. « Vous avez quelque chose, juste là. » ajoute-t-elle avec le haussement d'un sourcil, indiquant la zone de sa tempe d'un vague mouvement d'index. Rebekka n'a que tout juste le temps de remonter elle-même une vers son front avant que...


En un éclair, le tuyau rouillé s'abat sur son crâne dans un craquement écœurant. Elle s'effondre en même temps que la barre de métal qui rebondit négligemment sur le sol pour rouler jusqu'à elle, le sang s'écoulant abondement de sa blessure se mélangeant à ses éclats de roux corrodés.

« Ouch, on dirait bien que c'était une fracture. » plaisante Cassandre avec une grimace compatissante, se penchant sur le corps tremblant de sa victime pour plonger une main sous sa veste et en ressortir l'arme à feu qui s'y cachait. La précision et l'aisance de ses gestes, qui ne peuvent que témoigner d'une longue expérience qui glace, un instant, October. Elle démonte rapidement le revolver, l'examine, vérifie le chargeur.

« Pour être parfaitement honnête, je recommanderais un changement de carrière, Rebekka. » reprend-t-elle d'une voix bienveillante tout en plongeant une nouvelle fois sous la veste pour y pêcher un petit talkie-walkie, « Soyons sincères, les perspectives d'avenir dans ce domaine sont... disons que les débouchées sont peu nombreuses et peu envieuses. »

Cassandre triture le petit appareil entre ses doigts, le retourne, alors que son autre main continue de fouiller et dénicher une poignée de Pokéballs qu'elle fourre dans sa besace sans plus de cérémonie. Elle soupire et se penche sur le visage de la jeune femme sanguinolente, toujours transie sur le sol, à peine consciente.

« Si tout se passe bien, et que je ne me suis pas trop ratée, le coup de ne devrait pas laisser de séquelles. Enfin aucune trop grave. » expose Cassandre la voix emprunte de douceur, presque d'affection, à sa victime. « J'irai quand même me faire examiner au plus vite, si j'étais toi. Un trauma crânien c'est jamais bon. Ce qui tombe plutôt bien vu que tu devrais tout juste pouvoir te traîner jusqu'au Centre ouvert le plus proche, un peu amochée et sonnée, certes. »

Écartant une mèche poisseuse, imbibée de son propre sang, du visage de la vigile, la jeune femme plonge son regard dans ses prunelles vacillantes. Son tumultueux sourire se fait désolé. Elle porte doucement doucement le talkie-walkie aux lèvres blêmes de Rebekka pour ajouter...

« Voilà ce que je te propose : tu donnes l'alerte, tu prends la poudre d'escampette et traîne ta carcasse pour te faire soigner au prochain centre et tu profites de la convalescence pour ré-examiner tes choix d'orientation professionnelle. Deal ? »

Le regard de Rebekka se fait imperceptiblement plus net, l'espace d'une courte seconde, avant qu'elle ne hoche lentement, très lentement, la tête toujours tremblante. Le sourire de Cassandre se fait, lui, encore plus radieux alors qu'elle presse le bouton du talkie-walkie.

« A... alerte... intrus... près d'la sortie de... sortie de service. » articule difficilement la jeune femme dans le récepteur de l'appareil alors que la dresseuse la redresse et l'épaule, titubante, jusqu'à une ruelle voisine.
Cassandre, ensuite, laisse s'écraser le transmetteur au sol et redresse un regard scintillant vers Dystopie, s'armant d'une Pokéball qu'elle envoie virevolter dans les airs avant de la rattraper.

« Bien. Bien, bien, bien. Plus qu'à ne pas mourir maintenant ! » commente-t-elle avec engouement alors que, la silhouette de Rebekka disparaît dans la pénombre derrière-elle au même moment, la rumeur des cris et des bruits de paniques commencent à s'élever à l'arrière du centre.