Mother Metal [mod]

Il était minuit et Cobalt progressait à la lueur de la lune sur la plage de sable fin, le katana dégainé, enfourchant le dos d’une bête fantastique à la crinière de feu gris qui embuait le ciel.


Impossible de déterminer exactement dans quel pays étrange elle se trouvait ; encore en amérique du nord, peut-être, ou tout ailleurs.

Çà et là, des étoiles tombées formaient sur le sable des traînées de questions orphelines ; Cobalt les dépassait, chevauchant la fumée âcre, sans chercher de réponse. Le sable était presque noir, comme une nuit sans lune, pourtant l’astre rond tapait sur les longs cheveux auburn de Cobalt alors que le vent battait sa tempe avec indifférence ; c’était un soir de prophétie et Cobalt chevauchait vers un futur impropre, inconsciente des aléas de la route.

Alors que les sabots monstrueux battaient le sable humide, le museau du monstre se redressa et Cobalt aussi releva les yeux. Entre les arbres qui bordaient la plage, un gigantesque tentacule métalique venait de se dresser, fouettant le ciel, comme cherchant à s’emparer des rêves des autres.

Cobalt ne cligna pas des yeux. Elle était en chasse.

Elle cherchait la Mère de Métal.

Elle se jeta au galop sur le Tentacule, son destrier fouettant violemment le sol de ses sabots de feu gris. Il s’appelait Chemin, car il connaissait l’ordre des choses ; en tout cas c’était ainsi que Cobalt le connaissait et le comprenait. Une poignée de mètres avalés par secondes, dans la fumée des sabots et le Tentacule se trouva à portée ; tourné vers la lune, il incantait sans doute quelque obscur anathème ; Cobalt ne le laisserait pas faire.

Alors que Chemin croisait la route du Tentacule, Cobalt fit prendre à son katana un angle métaphorique ; et l’acier rencontra l’acier. Le katana de Cobalt trancha dans le fer fragile du tentacule, faisant voler les boulons et les cables ; l’alliage hurla ; Cobalt lâcha un sourire satisfait.

Il était temps.

Le Tentacule cependant avait compris qu’un ennemi se dressait sur sa route - une sorcière, sans doute, comme on n’en faisait plus dans les villes modernes et sous des ciels semblables. Il hurla et plia, et pesa, et fouetta, et Cobalt désarçonnée tomba au sol, vulnérable enfin, vulnérable toujours - mais grande, oui, grande au milieu de la forêt de vieux arbres.

Il était temps. Elle allait ouvrir le bal. Elle allait manger l'asphalte. Elle allait ouvrir la forêt comme un asphalte brûlant.

Il était incommensurable ; sa forme obscurcissait le ciel ; son ombre jetait des vagues froides sur les contours frissonnants de la forêt. C’était le premier ennemi sur le Chemin de la Mère Métal. Cobalt se redressa en position accroupie, les jambes entrouvertes sur la terre, prête à arracher de ses dents la pelure à l’âme du monde. Pendant ce temps, le monstrueux Chemin tournait comme un prédateur autour de l’appendice mouvant, cherchant un Chemin, un Chemin enfin vers le Pardon. Car c’était de cela qu’il était question : trouver, trouver le Pardon, c’était rendre la plume aux prophète ; c’était accepter la Pénitence.

Le Tentacule fouetta l’air lourdement et les arbres craquèrent, alors que Cobalt esquivait agilement d’un saut suivi d’une roulade sur sa droite. Alors que Chemin se faisait menaçant, Cobalt s’élança, son katana à la main, et se jeta sur le Tentacule encore immobile. Elle coupa, coupa dans le métal comme dans une eau trouble et boueuse - et le métal grinça, grinça à nouveau, comme si la Mère Métal quelque part s’ouvrait comme une vieille borde aux gonds rouillés.

J’arrive, murmura Cobalt.

J’arrive.

Puis le Tentacule chuta, et Chemin le regarda chuter avec un regard de cendre chaude. Quand il fut à terre, le destrier s’approcha de Cobalt et la regarda, et Cobalt lui rendit son regard. Puis, sur un dernier regard au cadavre métallique et longiligne, elle enfourcha le destrier et partit sans un mot. La nuit jetait toujours ses ombres dissemblables comme d’inconcevables augures. Il n’y avait plus que le Chemin, et le Chemin la porterait vers la Mère de Métal.

BAM.

C’est à ce moment là que Cobalt se réveilla, dans le motel miteux où elle passait la nuit le long de la route qui menait à Wheelfield, avec l’impression indescriptible que quelque chose d’énorme allait se produire et dévaster sa vie, si ce n’était pas déjà fait, mais sans qu’elle sache exactement quoi.

Quand elle sortit dans le matin, l’air frais lui bouffa le visage comme un vent de changement. La première étape, c’était Wheelfield. La prophétie parlait de Wheelfield. Ce n’était pas encore Wheelfield à l’époque, c’était une ville qui s’appelait  Shreveport, mais Cobalt avait étudié les cartes : c’était Wheelfield. Ensuite, Fayetteville, puis Kansas City : Holika.