New life (2/2) [mod]

Cobalt profitait de la tranquillité relative du coin et la protection tout aussi relative du vieil homme pour se reposer.

Elle regarda pensivement les chemins boueux du marais qui s’étendaient à perte de vue. Elle soupira.

- La seule chose d’étonnante qui me soit arrivée récemment, c’est d’être prise au piège dans une mine et de quasiment y passer.

Elle se frotte la nuque avec lassitude. Ses cheveux courts fraîchement coupés lui laissaient une impression bizarre - elle n'était pas habituée.

- Pas vraiment le genre d’expérience agréable qu’on a envie de réitérer. Je ne sais pas très bien quoi faire de ma vie, pour être franche. Il n’y a pas grand chose qui m’intéresse.

Accrochée à son épaule, la petite Ningale attrapée dans les mines tissait une toile inutile.

- Des fois j’écris. Pas des choses scientifiques. Des trucs littéraires. Je joue à des jeux vidéos toute la journée. Je ne sais pas vraiment où la vie m’emmène.

Alors qu’elle laisse trainer son regard morose sur les kilomètres de végétation boueuse, Zoé tire la langue et attrappe son quatre-vingt-douzième moustique. Brave bête.

---

---

Alors Dresseuse, on apprécie la saison des moustiques ?

P.S. : penses à mettre la balise [MOD] ^^

Le vieil homme rit doucement.

- Il n’y a pas de mal à ne rien faire. Ou à faire des choses inutiles. Les gens jugent beaucoup de choses inutiles.

Cobalt hausse les épaules.

- J’imagine. Mais je n’arrive pas à m’empêcher de penser qu’il faut que ma vie ait un sens. Et je n’arrive pas à trouver lequel.

Le vieil homme sourit.

- Aaaah. Vous pensez trop, alors. Moi je suis né avant la Sunrise. J’ai grandi dans un monde bien différent de celui-ci. Il faut profiter de la vie. Si vous attendez de lui trouver un sens, vous allez attendre longtemps. Elle n’en a pas.

Cobalt laissa son regard dévier machinalement sur son petit lézard, et sur l’étendue boueuse derrière lui.

- Peut-être. Mais j’ai vingt-quatre ans et j’ai l’impression de n’avoir rien fait.

Le vieil homme sourit à nouveau.

- Le temps passe vite, c’est tout. Ça ne sert à rien de regarder derrière soi. Il n’y a rien à voir, croyez-moi. Seuls comptent le présent et le futur. Un seul regard vers le passé peut gâcher la vie de n’importe qui. Alors que le présent et le futur… Ils ne déçoivent jamais. Le futur est plein de promesses. Le présent est vite oublié.

Il mouline un peu.

- La clé, c’est de ne jamais penser au passé.

Pendant un long moment, il n’y eu plus de bruit, que le fil de la canne à pêche perçant l’eau sombre et le clapotis du bouchon baladé au gré du faible courant. Il faisait beau. Puis le vieil homme reprit la parole.

- C’est comme en amour, tu vois. Un amour qui fait souffrir, c’est un amour auquel on croit encore. C’est un amour qu’on arrive pas à ranger dans le passé. Tu vois, moi, je tombe facilement amoureux.

Il rit de sa propre phrase, puis poursuit :

- Oui oui, encore à mon âge. Je tombe souvent amoureux. C’est un sentiment agréable. Bien sûr, ça ne plaît pas toujours à ma femme. Mais depuis le temps qu’on est mariés, tu penses, elle a bien fini par comprendre que je ne la quitterai pas.

Il mouline à nouveau, remonte son fil, pensif.

- Eh bien je tombe souvent amoureux parce que je ne m’attarde pas longtemps sur un amour échoué. C’est comme la pêche : quand ça veut pas, ça veut pas. Si tu souffres, c’est que c’est un poisson que tu ne voulais vraiment pas laisser filer.

Il sourit doucement.

- J’en ai rencontré quelques uns des comme ça.

Le vieil homme tire doucement sur sa canne, sans remonter de poisson.

- En définitive, c’est plus simple et moins douloureux de ranger les histoires passées dans le passé. Si tu es heureuse, c’est le principal.

Cobalt le regarde un instant, puis hausse les épaules

- Je ne suis pas sure d’avoir déjà été amoureuse.

Le vieil homme rit doucement.

- Tu le saurais.

Cobalt hausse à nouveau les épaules.

- Oui, tout le monde me dit ça. Mais je suis pas convaincue. De manière générale, j’ai du mal avec le deuil. Je ne passe pas facilement à autre chose, je crois. Si je tombais amoureuse, je pense que je m'en remettrai jamais.

Le vieux pêcheur sourit.

- Ça s’apprends.

Il avait une prise, mais il n’était pas pressé de sortir le poisson. Il le laissait s’épuiser, probablement, comme il le faisait avec l’amour.

- Je ne dis pas que c’est facile. Peut-être que ça vient en vieillissant. Quand on approche de sa propre mort. Ha ha…

Il moulina, moulina, puis sortit le poisson. C’était un magicarpe. Le vieux bonhomme avait attrappé un pokemon. Cobalt le regarda avec des yeux brillants, mais le vieillard ne semblait pas plus intéressé que ça. Au lieu de commenter sa pêche, il poursuivit :

- Enfin des fois on croit avoir fait le deuil de quelque chose et puis ça nous rattrape. Il n’y a pas de solution magiques. Il n’y a que le présent.

Cobalt grimaça.

- Ça me rappelle un poème très nul que j’ai écrit quand j’étais plus jeune. Vous voulez que je vous en lise un bout ?

Le vieil homme sursauta.

- Un poème ! Un poème ? Incroyable.

Il semblait ravi.

- J’adore les poèmes. Et quel meilleur endroit pour écouter un poème ?

Cobalt pianota sur son S.I.S quelques minutes, à la recherche du poème auquel elle pensait. Elle écrivait souvent, du brouillon, dans son bloc note, un vers par ci un vers par là : des poèmes gribouillés de pixels qui ne veulent rien dire. Mais cela lui faisait du bien. Cobalt aimait écrire ; elle aimait écrire aux moments importants.

Dans les vapeurs qui montent des marais, Cobalt commence à lire, doucement, un long poème de son adolescence.

“Le bonheur
Tu vois
C’est de ne pas se demander

Ce qu’il restera demain
Car il ne restera rien
Chaque seconde passe
Et s’efface -
L’empreinte ?
Une utopie -
Nous ne sommes que l’instant
Et l’instant n’est rien.

Dans la fabrique du sens
Et du non-sens
On nous apprends à lire
Lire l’existence.
- Typographier
L’interrogation -
Parce qu’il FAUT un sens,
Un sens...
Rien ne nous prépare
A ne pas répondre.
Rien ne nous prépare
Jamais -
A ne pas répondre.
Rien ne nous prépare à sourire
Et à murmurer
“Nous ne sommes que l’instant
Que l’instant
Et l’instant n’est rien.”

Gravée dans notre chair
Dans nos muscles du visage
Cette ambition d’être davantage
Qu’un vide qui se promène
Nous écrase.

On nous tatoue les rétines.
On nous noie dans l’angoisse des autres
Rien n’est plus animal
Que l’héritage de l’angoisse
On nous grave dans le ventre, dans la nuque
La terreur de n’être rien
De n’avoir été rien
De se retourner et de ne rien voir
Que du rien,
Que du rien,
Mais nous ne sommes rien
- Chante-toi le avant de t’endormir -
Tu ne rates rien
Quand l’instant t’échappe
Murmure-toi le en souriant, quand tu t’allonges le soir
Quand tu penses à la fuite des choses
Des mains
Et des jours
Le souvenir
Le souvenir est un lot de consolation
Déchirant.

Quand l’instant t’échappe
Dans ton lit le soir
Quand tu crois apercevoir
Fugace
Le vrai visage du monde
Quand tu te recroquevilles
Fredonne
Fredonne comme un fou

Il n’y a pas de vie bien finie
Il n’y a que la répétition de l’instant
Il n’y a que l’instant
Il n’y a que l’instant
Et l’instant n’est rien

Tu ne rates rien
Tu ne rates rien

Il n’y a que l’instant
Que l’instant
Et l’instant n’est rien.”

---

Quand Cobalt eut fini sa récitation, le silence revint sur le ponton. La brume tombait plus lourdement sur le marécage, cachant ici et là la végétation étrange et luxuriante. C’était une scène surréaliste et agréable : celle d’une lecture, au milieu de nulle part, d’une poésie écrite des années plus tôt. Le vieil homme sourit.

- Il n’était pas nul ce poème.

Cobalt haussa les épaules, comme à l’accoutumée.

- Pas la peine de me faire des compliments, je sais que je n’écris pas bien. J’écris pour mon plaisir. Des fois ça sonne correctement.

Le vieil homme rit doucement.

- Eh bien moi j’ai trouvé ça intéressant. Il s’en passe des choses dans votre tête, hein ?

Il rit à nouveau.

- Vous ne devriez pas penser autant. Après on oublie le reste. Mais vous le savez déjà, je suis sur.

Cobalt hocha la tête.

- Bon, je vais vous laisser à votre pêche. C’était un plaisir.

Le vieil homme hocha la tête en retour.

- De même ! Merci pour la lecture. Et à une prochaine fois peut-être… ?

Après avoir salué une dernière fois le vieil homme, Cobalt remit sa besace à l’épaule et s’engagea dans le long défilé de pontons qui la ramènerait à la ville. La petite Ningale avait donné naissance, curieusement, à deux pokemons différents. Tous les insectes que Cobalt avait capturés, en réalité, avaient fini par évoluer en différentes espèces toutes plus curieuses les unes que les autres, et Cobalt profitait de ce moment de répit pour prendre note.

Elle ne s’était pas connecté à son logiciel de discussion depuis un bon moment - ses potes devaient se poser des questions. Mais elle n’avait pas la tête à papoter pour l’instant. Elle voulait arriver à Wheelfield avant la nuit.

Elle ne passa donc pas longtemps dans la ville de Swanford : le coin était boueux et désagréable. Pas son style de vacances. Après avoir traversé la ville, elle s’engagea à nouveau dans les méandres de pilotis en direction de Wheelfield.

Elle avait rangé soigneusement ses insectes dans son sac, triés par pokeballs thématique. Le Ninjask et le Munja étaient rangés près du Charmillon et du Papinox qui avaient évolué plus tôt dans la journée ; elle avait également capturé une petite araignée d’eau très jolie qui s’était doucement mué en une sorte de papillon coloré dans la journée. La durée de vie des pokemons insectes dépassait nettement celle des insectes traditionnels, heureusement, Cobalt pourrait donc profiter de ces petits amis volants pendant un petit bout de temps. Dans le pire des cas, ça pourrait toujours servir de repas à Zoé.

Les marais autour de Swanford s’étalaient à perte de vue, suffisamment pour que Cobalt ait le temps d’inventorier toute la faune et la flore du coin. Et particulièrement Zoé, qui semblait se régaler. Avec tous les insectes et autres petites microcosmes, il y avait tout ce qu’elle pouvait vouloir comme repas. La petite Arcko avait doublé de volume, laissant imaginer une évolution prochaine.

La route pour Wheelfield était longue, cependant. Il ne fallait pas traîner ou la nuit tomberait avant que Cobalt n'arrive.